Ferveur royale


Honni soit qui mal y pense ! Ce portrait d’une princesse au bréviaire, inédit sur le marché, nous plonge dans l’histoire d’Angleterre. Une pièce souveraine...



Pierre-Charles Trémolières (1703-1739),
Portrait de Marie-Clémentine Sobieska , 1730, huile sur toile, 194 x 147 cm.





En ce début du XVIIIe siècle, les jeunes pensionnaires de l’académie de France à Rome travaillent surtout à reproduire les divers chefs-d’oeuvre du Seicento. Logés au palais Mancini, ils profitent aussi des relations offertes par la "jet-set" romaine. Parmi eux, attachons-nous à Pierre-Charles Trémolières, artiste d’origine choletaise appartenant à une noble famille auvergnate. Après avoir étudié auprès de Jean-Baptiste Vanloo, le jeune homme est parti au printemps 1728 pour l’Italie grâce à la protection du comte de Caylus, en compagnie de Pierre Bernard, de Pierre Subleyras et de Louis-Gabriel Blanchet. Les six années de son séjour romain lui apporteront célébrité, et bonheur en la personne d’Isabelle, fille du musicien Tibaldi. Achevant donc à Rome une formation de peintre d’histoire, Pierre-Charles Trémolières admire les grands maîtres bolonais, copiant notamment une Sainte Madeleine d’après Guido Reni.
Avant tout institution artistique, l’Académie est également au coeur de la vie mondaine romaine : nos pensionnés participent aux fêtes données à l’ambassade de France par le cardinal de Polignac. Sous la houlette du directeur, Nicolas Vleugels, ils sont aussi introduits dans de nombreuses demeures prestigieuses, comme le palais Balestra. Le lieu abrite depuis 1719 Jacques François Stuart, prétendant aux trônes anglais, écossais et irlandais sous le nom de Jacques III. Fidèle au pape et à l’église de Rome, le prince est entouré d’une cour d’exilés – les jacobites –, ourdissant divers complots. Pour appuyer ses prétentions et diffuser son image, Jacques III Stuart commande plusieurs effigies de proches, parmi lesquelles notre toile. Provenant aujourd’hui d’une famille comtoise, celle-ci a été exposée en 1973 lors d’une rétrospective du peintre, organisée par Jean-François Méjanès, au musée d’Art et d’Histoire de Cholet. Le portrait, tout à la fois intimiste et d’apparat, représente Marie-Clémentine Sobieska (1702-1735). Petite-fille du roi de Pologne Jean III Sobieski, vainqueur des Turcs et sauveur de Vienne, la princesse a servi les intérêts pontificaux en épousant, en 1719, Jacques François Stuart. Mère en 1730 de deux fils, elle incarne la promesse de rétablir une lignée catholique au Royaume-Uni. Dénué de tout accessoire, le fond neutre concentre l’attention sur la silhouette de la princesse, enveloppée d’un luxueux manteau doublé d’hermine.
En référence à Véronèse, Trémolières exalte la somptuosité de la parure. Nuancées de gris perle, les teintes lumineuses mettent aussi en exergue l’attitude noble et le calme hiératique du modèle. Glissant délicatement sur le visage, la lumière cisèle avec une extraordinaire précision des détails naturalistes, tels la coiffure sophistiquée ou la robe et le coussin très ouvragés. Face à un bréviaire ouvert, la princesse prie ardemment, les mains posées sur une table où trône la couronne d’Angleterre ornée de quatre croix pattées.
Les supplications de la princesse ne seront pas exaucées...
En revanche, sa piété lui vaut d’être aujourd’hui l’une des rares femmes enterrées à la basilique Saint-Pierre de Rome. Intimement liées, l’apparence et la psychologie du modèle sont au total rendues avec brio. Notre effigie princière révèle bien l’art de Pierre-Charles Trémolières, qui allie la solidité du dessin romain à la clarté de la couleur vénitienne. Malheureusement, l’artiste décède à trente-six ans ; c’est son compère Louis-Gabriel Blanchet qui deviendra le portraitiste attitré des Stuart.

Chantal Humbert